Suite aux échanges tendus entre Sarah El Haïry, secrétaire d’État à la jeunesse, et les participant-es du Réseau Jeunes des centres sociaux le 22 octobre dernier à Poitiers, celle-ci a décidé de saisir l’Inspection Générale de l’Éducation pour mener une inspection à l’encontre de la Fédération des Centres sociaux et Socioculturels de France (FCSF). Il s’agit d’un exemple emblématique à la fois de la déconnexion des membres du gouvernement vis-à-vis de la réalité du quotidien de la population mais aussi de la façon dont le gouvernement conçoit la notion de liberté d’expression et de démocratie.
Retour sur les faits
Du 19 au 23 octobre dernier, la FCSF organisait à Poitiers l’édition 2020 du Réseaux Jeunes, un événement qui rassemble pendant 5 jours des jeunes de toute la France pour qu’ils et elles puissent discuter et débattre d’un sujet. Cette année, c’est le thème de la religion et de la laïcité qui avait été choisi. Le 22 octobre, les jeunes restituaient une synthèse de leurs échanges en présence de la presse et d’élu-es. La secrétaire d’État à la jeunesse, Sarah El Haïry, était également présente et elle n’a pas semblé apprécier les propositions qui sont ressorties des échanges entre les jeunes.
Celles concernant l’école en particulier :
« Nous proposons qu’il y ait de vrais cours sur les religions animés par des gens formés, des intervenants extérieurs, et concernés par ces sujets.
Nous proposons que soient aussi mis en place des espaces autres que les cours, où l’on pourrait avoir des temps de rencontres, d’échanges et de débats, autour des religions comme de sujets de société.
Nous proposons de pouvoir porter des signes religieux à partir du lycée. »
La secrétaire d’État y a vu, conformément à l’ambiance du moment, une attaque de la laïcité. Après avoir tenté de répondre aux jeunes par des déclarations aussi absurdes qu’explosives (« Il faut aimer la police, car elle est là pour nous protéger au quotidien.« ), elle s’est lancée dans une marseillaise, pensant rallier à elle et à la « République » ces pauvres jeunes en perdition… Heureusement, ils et elles ne se sont pas laissées avoir par une manœuvre si grossière et l’ont clairement exprimé.
Liberté d’expression ? Pas pour tout le monde.
Cet épisode n’a clairement pas été du goût de la secrétaire d’État qui a décidé de saisir l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche pour mener une mission d’inspection à l’encontre de la FCSF. Difficile de ne pas y voir une attaque du gouvernement contre une institution qui a osé laisser des jeunes dirent ce qu’ils pensent.
Le reportage réalisé par France 3 Nouvelle-Aquitaine illustre très bien le malaise de ce 22 octobre. Mais les commentaires en voix-off du reportage sont également révélateurs de la dérive du débat sur la laïcité.
« Des principes républicains qui ont du mal à se faire une place dans la vie quotidienne de ces jeunes des quartiers. »
Pourtant, ces jeunes ont sans doute bien mieux compris ce qu’étaient ces « principes républicains » que de nombreux journalistes ou responsables politiques. La laïcité (puisque c’est bien cette notion qui se cache derrière les fameux « principes républicains »), c’est la liberté de croire ou de ne pas croire en un dieu. C’est aussi la coexistence pacifique des croyances et des religions, c’est la liberté de pratiquer ou non un culte librement, sans craindre d’être stigmatisé ou persécuté. C’est également la neutralité de l’État français vis-à-vis des religions. Or, cette neutralité, cette liberté de culte, certains jeunes ne la retrouvent pas au quotidien et ils l’expriment :
« Nous voudrions que nos représentants soient exemplaires avec des élus qui ne donnent pas leur opinion personnelle quand ils sont invités à parler des religions en tant que représentants de la République. »
Un autre jeune constate que le port d’une croix autour du cou de façon visible ne pose pas de problème à l’école alors que le port du voile mène immédiatement à une interdiction. Un exemple de « deux poids, deux mesures » selon la religion considérée.
Pour ces jeunes, le principe de laïcité a peut-être du mal à se faire une place dans leur quotidien mais la raison n’est pas celle avancée à longueur de temps dans les médias : ce n’est pas une soi-disant dérive « séparatiste » qui met en danger la laïcité, c’est au contraire l’acharnement raciste et islamophobe qui imprègne la société française depuis des années. D’abord, par des propos à demi-mots, des allusions, des non-dits, et puis par des déclarations de plus en plus assumées dans les médias et jusqu’au plus haut sommet de l’État. Cette stigmatisation permanente des populations issues de l’immigration, et en particulier des personnes pratiquants l’Islam, est contraire au concept de laïcité qui est brandi à tout bout de champ par des personnalités politiques qui s’en servent d’outil de manipulation pour faire avancer leur agenda politique.
Racisme et discrimination : le quotidien des jeunes des quartiers
Au-delà des attaques verbales continues sur la base d’une laïcité dont la définition n’est apparemment pas la même pour tout le monde, il y a les actes discriminatoires que ces jeunes vivent au quotidien : les contrôles au faciès, le harcèlement et les violences de la police. Et ces problèmes-là sont justement évoqués dans le document de synthèse issu de ces 5 journées de discussions :
« Nous proposons plus de travail de formation auprès de la police, pour qu’il y ait moins de contrôle au faciès, moins de situations de discrimination.
Nous demandons une application plus rigoureuse des lois, voire une sanction quand c’est nécessaire, sur des propos ou des comportements discriminatoires. »
C’est aussi ça le quotidien de ces jeunes. Et, évidemment, cela ne plaît pas au gouvernement. Cela ne peut pas lui plaire car ces jeunes mettent le doigt sur un problème bien réel : le rôle néfaste de la police dans les quartiers et plus généralement le racisme d’État.
Contre l’obscurantisme religieux, pour la liberté de culte
Ne nous méprenons pas. Nous, communistes libertaires, sommes extrêmement attaché-es au principe de laïcité : nous luttons contre les obscurantismes et les dogmes religieux qui, dépassant le simple cadre du droit à la liberté de culte, tentent d’imposer par différents moyens un ordre moral et social à une population ou une société toute entière. Nous combattons celles et ceux qui veulent utiliser la religion pour soumettre des individus ou une population. Mais nous défendons également la liberté de culte et de croyance, c’est-à-dire le droit de croire (ou pas) en un ou plusieurs dieux et le droit de pratiquer ce culte en toute liberté.
Ainsi, à l’occasion des ces rencontres qui se sont tenues à Poitiers, les jeunes de la FCSF nous ont offert une magnifique démonstration de ce qu’est censée être la démocratie : ils et elles ont pris le temps de débattre collectivement d’un sujet de société complexe et leurs échanges ont abouti à des propositions visant à régler les problèmes qu’ils et elles vivent au quotidien. Malheureusement, face à cette expression rationnelle, sincère et faisant preuve d’une grande maturité, la secrétaire d’État à la Jeunesse n’a pour seule réponse que l’attaque administrative pour tenter de faire taire ces voix qui osent exprimer leurs avis.
Le groupe poitevin de l’UCL apporte son soutien à la FCSF et dénonce les pratiques anti démocratiques du gouvernement.
Sources :
- La laïcité divise les jeunes des quartiers et la secrétaire d’État à la jeunesse (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 23/10/2020)
- À Poitiers, difficile dialogue entre les jeunes et leur secrétaire d’État (La Nouvelle République, 23/10/2020)
- Communiqué de la Fédération des Centres sociaux et Socioculturels (12/11/2020)
- Choquée par un débat avec des jeunes, la secrétaire d’État à la jeunesse saisie l’inspection (Politis, 12/11/2020)
- Sarah El Haïry se braque face à la jeunesse (Mediapart, 12/11/2020)
- Après sa rencontre avec 130 jeunes à Poitiers, Sarah El Haïry demande une inspection de la FCSF (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 14/11/2020)